lundi 21 juillet 2008

Le roman (3)

Je referme le Reader Digest et le pose sur le dessus de la cuve de la toilette. Rien de vraiment intéressant dans ces magazines passés date qui trôneront éternellement sur les toilettes du poste. Faut croire que personne, ici, n'a d'intérêt à laisser aux autres les revues auxquelles il s'est abonné durant l'année. C'est plus rentable d'allumer le foyer avec.

Je me relève lascivement. La journée va être longue.

En ressortant des chiottes, Michael est encore là à s'appliquer de la pommade. Il a l'air à s'aimer pas mal, le Cro-Magnon.

Je prends tranquillement les clés de mon véhicule de patrouille. Je ramasse mes trucs. Je pars sur la route.

La route a cet effet thérapeutique sur moi de me faire penser à un tas de trucs indifférents. Je pense à Michael qui s'est tappé je ne sais qui hier soir, avant-hier soir et tous les autres soirs qui se sont précédés.. Peut-être ma soeur, qui sait ? Anyway, je m'en branle éperdument. Je m'en vais à une intersection. Je regarde les véhicules passer. J'attends. Je pense.

Isabelle était vraiment extra. Le temps passé avec elle, je dois avouer, c'était pas toujours cadeau. Quand la routine embarque, après deux ans, que personne fait d'efforts pour en sortir, y a quelque chose de malsain qui s'installe.

Quelque chose comme un cancer généralisé dans une vie de couple putréfiée. Y a seulement des médecins pour vous analyser ça.

Le tube de pâte à dents vide laissé sur le comptoir de la salle de bains (la première cellule cancéreuse).

Les relations sexuelles qui deviennent moins fréquentes (les métastases qui se propagent).

La fin de la relation (la mort parce que rien n'a été traité à la chimio).

Isabelle, c'était comme mon cancer à moi. Elle s'est installé innocemment dans ma vie de flic paumé sans objectif. Elle a commencé à prendre de la place de plus en plus, dominant le rapport d'unidirectionnalité que j'entretenais avec mon boulot. Puis elle est partie.

Parce que j'étais devenu son cancer à elle. Son tube de pâte à dents sur le comptoir. Et le reste est allé de soi.

Je suis un homme de Néant-Dertal, et je suis désormais célibataire.

Criss. Point.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Tu écris vraiment très bien et tu as véritablement le sens de la description.

À mon sens tu es davantage un homme de lettre qu'un... Je te suggère vraiment de lire "Lettres à un jeune poête" de Rainer Maria Rilke... Tu y trouveras le parralèle (ou paradoxe?) que je viens de soulever.

Frédéric Pauzé a dit…

@ Esperanza :

Merci pour le compliment. Ce qui est drôle, dans tout ça, c'est que pour une première fois j'écris sans vraiment réfléchir.

Je vais jeter un coup d'oeil à ta suggestion !

FP